La sonnette cloche lorsque la porte s'ouvre, un client sort de la boutique.

Le moment était venu pour Pilou d'entrer sur scène. Cela faisait un peu plus d'une heure qu'il était entré dans ce monde qui n'était pas le sien, et on n'hésitait jamais à le lui faire ressentir, à coup de regards qui en disaient long.
Il marchait, Pilou, regardant droit devant lui sans poser le regard trop longtemps sur les faciès trop pâles de ce quartier. Ce n'était pas de la peur, c'était une habitude prise depuis tout jeune, parce que fixer c'était mettre au défi, énerver, c'était attirer l'attention et les ennuis.

Lorsque l'on se baladait dans un quartier qui n'était pas le sien, il fallait savoir quand on était en situation de force et quand on ne l'était pas. Pilou ne l'était pas.
Mais malgré tout, il avait confiance en ses capacités. Les esprits lui avaient donné raison, et il tenait d'une main sa batte de baseball fétiche.

Il avait attendu que la boutique soit vide de tous clients avant d'y entrer. Il poussa doucement mais fermement la porte et la ferma derrière lui. Il déposa la batte près de l'entrée, comme s'il ne s'agissait que d'un vulgaire parapluie que l'on laisserait sécher contre un mur. Pilou, clairement pas client, vint vers le comptoir et s'y appuya d'une main, et de l'autre sorti un révolver de la poche de son épaisse veste en cuir. Il la posa sur le comptoir et plongea ses yeux d'ébènes dans ceux qui lui faisaient face.

« C'est à vous ça ?»

Les armuriers et les gens comme Pilou, ils avaient la même notion de responsabilités. Limitée. Celle qui les arrangeait. Celle qui permettait d'expliquer que chacun faisait ce qu'il pouvait pour survivre, en espérant que tout finisse bien. Et dans la chaîne de responsabilités, c'était le maillon qui déconnait qu'il fallait accuser. Qu'il fallait chercher et punir. C'était précisément ce qu'était venu faire Pilou.

Alors, l'armurière, elle a les mêmes réflexes que Pilou quand quelqu'un vient chercher des noises Chez Tantine. Tout d'abord, il se dénoue de toutes responsabilités et fait comprendre que plus les phrases seront courtes, mieux iront les choses. Alors il ne répond pas à la première tentative de déstabilisation de la femme. Elle est plus grande que lui. Impressionnante, tant par son physique que par son aplomb. Le marché du plomb ça forgeait forcément le caractère.
Aucun des deux ne baissaient les yeux ; le premier qui osait aurait perdu.

« Des armateurs qui modifient des armes comme ça, y'en a pas beaucoup.»

Il pose la main sur l'objet sur le comptoir, sans baisser les yeux pour autant. Il passe le doigt le long du canon, de la crosse, sent l'irrégularité qu'il cherchait pour démontrer ses propos.

« Ça, c'est vous ?»

Il fait glisser l'arme du crime vers l'avant, tapote du doigt sur le symbole qu'il avait appris par cœur, en espérant pouvoir le reconnaître s'il le rencontrait dans ce quartier de malheur.

Il l'observe scruter le revolver, en absorber tous les angles. Il décortique les traits de son visage pour pouvoir un jour s'en souvenir. Il voit ses yeux se plisser, elle prend des airs d'inspectrices de pierres précieuses. Il ne lui manque plus que le petit télescope coincé entre la pommette et l'arcade. Pilou ne savait pas comment ça s'appelait, ce petit truc, mais il savait que ça existait, c'était déjà ça.

Une fois l'arme reposée sur le comptoir, Pilou la récupéra et la fourra dans la poche de sa veste tandis que l'armurière lui donnait uniquement la moitié de la réponse espérée. Il était au bon endroit finalement, il s'était épargné l'humiliation d'être venu jouer les gros bras au mauvais endroit. Pas que ça l'aurait dérangé. Se faire rabaisser par des petits blancs-becs il avait l'habitude. Mais il ne se laisserait pas faire cette fois-ci, il ne pouvait pas se le permettre. Et surtout pas si près du but. Il releva les yeux vers elle.

« Je veux le nom de l'acheteur. »

Condition sine qua non, une piste pour que Pilou puisse diriger sa vengeance ailleurs, pour que l'on ne puisse pas s'en prendre aussi facilement à ses frères à l'avenir, espérait-il.
Il serrait des poings sur le comptoir.

« Rien qu'un nom, et je repars sans faire de vagues. Ca reste entre nous, je vous laisse l'arme, et personne ne saura que c'est vous qui avez parlé. »

Elle était marrante elle. Pilou n'avait pas risqué sa peau en venant aussi loin juste pour repartir bredouille. Ce nom, il l'aurait d'une manière ou d'une autre.

Il approche la tête, il parle d'une voix basse mais directive. Il donne l'ordre, espère que cela finira bien par fonctionner à un moment ou un autre.

« Je ne vais nulle part tant que j'ai pas un nom. » commence-t-il. Ses mains glissent sur le comptoir, s'éloignent l'une de l'autre comme pour imposer sa présence. « Si tu tiens à ta boutique, tu craches tout de suite. »